Acceptabilité de la densification
Densifier les villes et limiter le pavillonnaire, une solution perçue comme « souhaitable » pour l’environnement ?
Par Géraldine Bouchet-Blancou
La réponse est oui pour une majorité d’élus locaux et de décideurs économiques et pour la moitié des parlementaires, mais non pour deux tiers du grand public. Tels sont les résultats de l’enquête « Les représentations sociales du changement climatique » menée par l’Ademe en 2020. En octobre 2021, l’intervention d’Emmanuelle Wargon au sujet de la non adéquation du modèle pavillonnaire aux enjeux environnementaux a suscité des réactions qui ont confirmé les résultats de l’enquête de l’Ademe. Le «désir» des français pour l’habitat individuel a été l’instrument d’une politisation du débat, à l’heure de la difficile mise en œuvre de la ZAN, et mis en opposition avec ce qui fut qualifié de décision centraliste et déconnectée des réalités territoriales. La nécessité de lutte contre l’artificialisation est-elle réellement une décision qui ne concerne pas les territoires ? Quelles sont les raisons de ces écarts dans les représentations sociales de la problématique environnementale ?
La nécessité de lutte contre l’artificialisation est-elle réellement une décision qui ne concerne pas les territoires ? Quelles sont les raisons de ces écarts dans les représentations sociales du la problématique environnementale ?
Il est fort probable qu’il s’agisse à la fois d’un manque de diffusion des connaissances scientifiques sur le sujet, d’une orientation quasi exclusive des sujets médiatiques de l’environnement vers son aspect climatique et vers la question de l’énergie et des émissions carbone, ainsi que d’un biais cognitif lié à la forte individualité des intérêts en jeu. Rappelons-nous que 64% de la population souhaiterait vivre en maison individuelle dans les prochaines années, et que 57% y vit déjà. Après tout, comment cet habitat soutenu fiscalement pendant si longtemps, idéal pour élever des enfants et « proche de la nature » pourrait-il être si nocif pour l’environnement ?!
L’urbanisme, celui de la construction neuve comme celui qui agit sur l’existant, est d’abord question d’acceptabilité sociale. Et cette acceptabilité se mesure à la prise en compte de la réalité des enjeux environnementaux et des solutions pour les atténuer et s’y adapter. Qu’il s’agisse du voisinage et des recours contre les projets de densification dès lors qu’il estime être volé d’une partie de sa qualité de vie, ou du maire qui délivre des permis de lotissement car il verra sa commune prendre de l’ampleur, ou qui trouve un intérêt dans la création d’une nouvelle zone commerciale sur sa commune. Dans la prise en compte des enjeux environnementaux, ceux concernant le réchauffement climatique, l’effet de serre et la fin des énergies fossiles semblent maintenant largement acquis à l’opinion publique. Par contre, l’enjeu d’artificialisation du territoire commence seulement à gagner du terrain (sans mauvais jeu de mots), tandis que les conurbations se multiplient et que les entrées de ville manifestent ouvertement les effets des politiques publiques jusque-là très (trop ?) laxistes en la matière. L’effondrement constaté de la biodiversité, les inondations de plus en plus destructrices et l’augmentation de la dépendance alimentaire de la France (plus de la moitié des surfaces agricoles nécessaires à pourvoir à notre alimentation sont déjà situées dans des pays étrangers) sont pourtant des symptômes de cette consommation effrénée du sol à propos desquels les scientifiques ont déjà tenté maintes fois d’alerter. À l’échelle internationale, la COP26 a, à cet égard, creusé encore un peu plus le sillon entre décideurs et scientifiques, entre politiciens et militants, pour aboutir à un évènement décisif pour les uns et aberrant pour les autres.
Aussi les différences notables entre le niveau d’adhésion du grand public pour la rénovation thermique du bâti existant et celui de l’arrêt de l’artificialisation transcrivent cette différence d’appréciation entre enjeux, l’usage du sol ne paraissant pas être une priorité. Ainsi, ce sont 30% des parlementaires, 20% des élux locaux et 19% des décideurs économiques qui considèrent l’écologie uniquement au prisme de l’énergie et n’estiment pas que l’usage du sol ait un impact sur le dérèglement climatique.
Comment, dès lors, mettre en place des solutions de densification urbaine socialement désirables face à cette trop grande et trop rapide expansion urbaine ? Comment rendre acceptables des projets de surélévations dans des villes déjà densément bâties ? Comment rendre la surélévation économiquement faisable dans des villes moins attractives ?
Ces questions sont au cœur des préoccupations actuelles liées à l’établissement progressif de la ZAN (Zéro Artificialisation Nette des sols). La principale piste de réponse à l’acceptabilité se situe dans la compréhension des enjeux de la densification. Si une population connaît les raisons qui rendent l’arrêt de l’artificialisation nécessaire, elle seront bien plus encline à accepter la densification. C’est ce que révèle une récente étude britannique, mise en lumière par Sylvain Grisot, qui analyse l’impact de deux facteurs sur l’acceptabilité de la densification : le design et la perception des résidents. Cette recherche, menée par Pablo Navarrete-Hernandez, Alan Mace, Jacob Karlsson, Nancy Holman et Davide Alberto Zorloni, montre que quelque soit la densité en question et quelques soient ses caractéristiques visuelles, ce sont les résidents ayant connaissance aux raisons (ici sociales, liées à la crise du logement à Londres) qui sont les plus enclins à accepter de voir leur quartier être densifié.
Qu’en serait-il en France, si l’entièreté de la population était au courant que le rythme de consommation des terres agricoles croît quatre fois plus vite que la croissance démographique ? Qu’en serait-il si la population prenait la mesure du problème auquel on s’expose collectivement, consistant à voir notre souveraineté alimentaire se réduire à néant au prétexte de la sacro-sainte « envie des français » d’habiter une maison individuelle ? Si cette typologie d’habitat n’est pas seule responsable de l’artificialisation, elle l’est tout de même à hauteur de 67 %. Entre le pavillonnaire diffus (d’une densité à un ratio surface bâtie/surface au sol de 0,5 maximum) et certains des quartiers les plus denses de la périphérie parisienne (atteignant un ratio de 6,5) il existe une multitude de densités et de morphologies de bâti. Toutes peuvent être désirable, en fonction de la manière dont l’espace est conçu, s’il présente des espaces verts à proximité, des commerces, un bon réseau de transport, entre autres.
Il nous faut évoluer dans notre perception commune de la densité et enfin cesser d’en avoir peur. L’objectif n’est pas de faire atteindre la densité du Paris haussmannien à l’ensemble du bâti existant de toutes les communes, cela n’aurait aucun sens. Augmenter très légèrement la densité de certains quartiers, notamment en exploitant le foncier aérien pour préserver des « vides » au sol, intensifier les usages et réduire la vacance de logement, sont autant de solutions de densification « douce » dont le potentiel en surface est considérable.