Définitions règlementaires et géomatique
L’exemple de la limite de fond de parcelle
Par Timothée Raimbeaux
L’article R* 123-9 du Code de l’Urbanisme autorise aux PLU l’imposition de règles d’implantations par rapport aux limites de parcelles, distinguées en deux catégories : les limites de voie ou d’emprise publique et les limites séparatives. Les premières distinguent le domaine privé du domaine public, les secondes constituent la séparation entre deux terrains privés.
Pour des considérations de morphologie urbaine, les municipalités différencient souvent limites séparatives latérales et limites séparatives de fond de terrain. Cependant seules des jurisprudences tentent d’approcher une définition précise d’une limite de fond de terrain et l’approche peut s’avérer variable selon les PLU.
Les retraits qu’imposent ces règles d’implantation ont une incidence majeure sur la faisabilité réglementaire d’un projet de surélévation ; aussi leur intégration est essentielle à la fiabilité du moteur de calcul de notre logiciel Géoservices. Il s’agit ici de qualifier automatiquement une limite de parcelle.
L’incidence des retraits depuis les limites parcellaires sur un potentiel de surélévation
Comment donc rapprocher des jurisprudences réglementaires et des définitions parfois changeantes à des traitements géospatiaux systématiques, mathématiques et automatisés ?
La géométrie des parcelles est issue — on s’en doute — du cadastre. On simplifie ces géométries afin de considérer chaque segment obtenu comme une limite à part entière.
Dès lors que l’on dispose d’une qualification précise du domaine public et privé (ce qui n’est pas toujours une mince affaire et nécessiterait bien un autre article !), il est possible de distinguer aisément les limites de voie — ou « limites de références » — des limites séparatives : en termes géométriques, les limites de voie sont celles qui ne touchent pas d’autres limites (celles des parcelles voisines). Le reste peut être qualifié, par élimination, de limites séparatives.
Quelle distinction entre limite latérale et limite de fond de terrain ?
La définition la plus courante d’une limite latérale est celle d’une limite qui aboutit à la voie. Autrement dit : une limite latérale est une limite séparative qui intersecte une limite de voie. Et ainsi, toutes les autres seraient des limites de fond de terrain (ni sur voie, ni aboutissant à une voie). Cette définition fonctionne bien dans le cas d’un réseau de parcelles orthogonales et on la retrouve régulièrement dans le lexique des PLU, accompagné d’un schéma comme ceux ci-dessous :
Exemples de définitions de la limite de fond de parcelle dans une configuration orthogonale (PLU de Lille, PLU de Bagneux)
On dispose ainsi d’une limite sur voie, de deux limites latérales et d’une limite de fond de terrain.
Seulement bien sûr, toutes les parcelles ne sont pas orthogonales. Elles peuvent prendre des formes complexes, avec brisures, courbures et angles plus ou moins obtus ou aigus. À notre connaissance, aucun PLU ne se risque à une définition euclidienne d’une limite de fond de terrain. Lorsque la problématique est évoquée, il est le plus souvent préconisé d’envisager une configuration de parcelle complexe comme un quadrilatère régulier : la limite de fond de terrain est celle qui se retrouve opposée à la voie (et la jurisprudence tend ainsi surtout à se focaliser sur la définition de la voie). Cette approche pragmatique se marie bien à l’approche sensible de l’espace dont dispose un être humain, mais constitue un obstacle si l’on souhaite la réduire en équation afin d’alimenter un moteur de calcul.
Exemples de définitions de la limite de fond de parcelle dans des configurations plus complexes (PLU-h du Grand Lyon, PLUm de Nantes)
Qu’est-ce donc que l’opposition à une limite de voie ?
Deux approches sont possibles :
La géomatique nous permet dans un premier temps de générer l’emprise minimale orientée de n’importe quelle géométrie. Plus simplement, on produit le plus petit rectangle pouvant entourer notre parcelle, orienté longitudinalement (voir schéma). On qualifie ainsi aisément les limites de ce quadrilatère régulier. Il s’agit ensuite de les faire correspondre aux limites réelles de la parcelle, par proximité (la limite de parcelle la plus proche de la limite de fond de terrain du quadrilatère sera une limite de fond de terrain). Cette solution simple peut toutefois s’avérer gênante sur des parcelles en U, sur plusieurs voies, ou très étirées, quand la géométrie du quadrilatère se retrouve finalement très éloignée de sa géométrie réelle.
Emprises orientées minimales de parcelles sur un îlot parisien
Une autre approche consiste à comparer les azimuts (les angles dans l’espace) de chacune des limites séparatives par rapport à la voie. Si une limite dépasse un seuil donné (par exemple, 45°) on considère qu’elle se trouve en opposition à la voie. Cependant, les limites ne peuvent être considérées indépendamment, notamment dans le cas de brisures. Un morceau d’un mètre ou deux peut se trouver parallèle à la voie alors que l’on doit l’envisager comme une limite latérale. Une démarche récursive apparaît alors nécessaire, chaque limite étant qualifiée par rapport à ses voisines et sa propre géométrie (les « petits morceaux » et les brisures sont ainsi correctement pris en compte). Il est de cette manière également possible de traiter des parcelles traversantes aboutissant sur plusieurs voies.
Qualification des limites selon leur angle par rapport à la voie et leur longueur
Une fois cette qualification effectuée, on projette dans l’espace les retraits imposés selon le type de limite (en rapport à la hauteur envisagé : h/2, h/3, etc. ou fixe : 3, 4, 5, 10 mètres…). En lien avec les hauteurs de gabarits maximales, ces retraits nous dessinent la géométrie des niveaux potentiels en surélévation.
Si ces traitements s’avèrent assez fiables, le calcul reste limité — comme toujours — par la donnée en entrée, à savoir le cadastre. Les aléas historiques du parcellaire produisent parfois des géométries inattendues, que l’algorithme le plus robuste ne pourrait affronter. Aussi, il convient de rappeler que ces définitions servent à cadrer des projets urbains, avec chacun leurs spécificités et caractéristiques à la variété infinie, et qu’au-delà de tous les calculs, in fine seule la discussion et les accords entre toutes les parties prenantes du territoire font véritablement la ville. Il est donc toujours possible de débattre de ce qu’est véritablement une limite de fond de terrain !