Illustration : volume constructible avant et depuis la loi ALUR de 2014, source : Mairie de Paris, « Surélever son immeuble », Habiter durable, édition n°1, sept. 2016. 

Combler les dents creuses ou non?

La surélévation au croisement des enjeux patrimoniaux et environnementaux. Le cas de Paris.

Par Géraldine Bouchet-Blancou

Lorsqu’il s’agit de mener un projet de surélévation en « dent creuse », deux enjeux s’opposent et révèlent un conflit d’intérêts entre la doctrine patrimoniale et la lutte contre les déperditions thermiques des pignons. 

Cette problématique est le plus souvent rencontrée au cœur de la ville historique, notamment à Paris, où s’opposent les idées de la Mairie de Paris et celles de la Commission du Vieux Paris (CVP) au sujet du comblement des dents creuses. 

Les architectes praticiens, qui sont appelés à mener des projets de surélévation sont pris en étau entre ces deux enjeux, car confrontés à une double injonction.

Plusieurs voix encouragent l’alignement en hauteur : 

– La Mairie de Paris, qui dans un document de 2016 dédié à encourager la surélévation, expliquait que « la surélévation peut permettre d’enrichir l’expression architecturale de certains bâtiments, d’améliorer leur insertion dans le paysage de la rue (en comblant une “dent creuse” par exemple), et de repenser la couverture des immeubles, notamment en végétalisant les toitures-terrasses. […] La surélévation peut ainsi accroître la valeur patrimoniale du bâtiment […] en le valorisant sur un plan architectural. »1

– Le PLU de Paris, qui suggère clairement l’alignement et le remplissage des dents creuses : « Notamment, pour éviter de créer ou de laisser à découvert des murs pignons, la hauteur d’une construction projetée en bordure de voie peut être soit réduite, soit augmentée, nonobstant les dispositions de l’article UG.10.2, sans créer de décalage supérieur, en principe, à la hauteur moyenne d’un étage par rapport aux constructions contiguës. » (PLU de Paris, Article UG 11.1)

– La suppression du COS avec la loi ALUR, qui a supprimé la règle qui empêchait d’atteindre l’alignement en hauteur, droit donné par le gabarit.

– Le changement climatique, qui incite à limiter les déperditions incite à combler les dents creuses. 

surélever son immeuble_mairie de parisPage dédiée à l’architecture issue du document de la Mairie de Paris : « Surélever son immeuble », Habiter durable, édition n°1, sept. 2016.

 

Mais la CVP s’oppose à l’alignement en hauteur ainsi qu’au doublement des étages, afin de défendre l’enjeu de préservation du patrimoine, important lui aussi. Chaque projet est cependant jugé au cas par cas, ce qui est à la fois rassurant pour l’acceptabilité potentielle des projets et à la fois source d’incertitude.

Le projet peut ainsi être refusé sur base d’une grande variété d’arguments patrimoniaux, qu’il est difficile d’anticiper.

En cause ? Des instances différentes (les instances patrimoniales et la municipalité) qui instruisent et décident, chacune étant la garante de sa mission.

L’incertitude, une entrave majeure aux projets.

Dans l’organisation de la maîtrise d’ouvrage des projets de surélévation, cette incertitude apporte une grande complexité qui entrave les projets. Une copropriété peut être encouragée par les possibilités de financement de travaux communs que représente la vente de son droit à bâtir en toiture, mais si le projet est revu à la baisse au cours de sa conception, la valorisation de ces droits en est affectée et peut ne plus suffire. Le projet perd alors tout son intérêt dans le financement de la rénovation de l’immeuble. Les porteurs de projets ont eux aussi du mal à s’engager sur des opérations tant que le projet ne sera pas arrêté et validé.

Comment gérer l’incertitude de l’acceptabilité d’un projet de surélévation en dent creuse, notamment lorsque celui-ci comprend plusieurs étages créés ?

Des évolutions réglementaires favorables à la surélévation et un but de préservation du patrimoine inchangé.

Le droit de l’urbanisme en matière de surélévation a largement évolué depuis l’ordonnance Duflot de 2013, la loi ALUR de 2014 et la loi ELAN de 2018. La première ouvrant dérogation à la hauteur constructible, la deuxième supprimant le coefficient d’occupation des sols et ouvrant des droits à surélever jusqu’aux limites gabaritaires des PLU, et la troisième ouvrant dérogation à dépasser des limites gabaritaires à hauteur de 30 %. Ces évolutions réglementaires ont eu lieu à la faveur d’une prise en compte des enjeux environnementaux, notamment de la préservation des terres naturelles, agricoles et forestières (NAF), incitant les villes à une densification intra-muros. Cependant, cet encouragement à la densification n’a pas annihilé le rôle conféré par le Code de l’Urbanisme aux collectivités publiques de veiller sur la « sauvegarde des ensembles urbains et du patrimoine bâti remarquables » (Art.L101-2) et d’identifier et localiser dans leur PLU « les quartiers, îlots, immeubles bâtis ou non bâtis, espaces publics, monuments, sites et secteurs à protéger, à conserver, à mettre en valeur ou à requalifier pour des motifs d’ordre culturel, historique ou architectural […] » (Art.151-9). Les enjeux patrimoniaux et environnementaux sont donc tous deux primordiaux, et il arrive qu’ils s’opposent dans certains projets, notamment en surélévation, et plus spécifiquement dans le cas du comblement des dents creuses. 

Dans son rapport « Avis sur les surélévations », publié en juin 2016, la Commission du Vieux Paris (CVP) explique ainsi son point de vue : « La Commission ne peut dissimuler son inquiétude devant la possibilité de surélévations généralisées. Ce risque existe, sous l’effet de la valorisation foncière grandissante, et fait peser un risque majeur sur le paysage parisien. L’alignement progressif des dents creuses irait dans ce sens, alors même que tel accident du paysage peut avoir une grande valeur. La multiplication des surélévations serait une transformation complète de Paris et la banaliserait. ».

Bien que chaque projet soit examiné « indépendamment de toute préconception », la CVP se donne néanmoins une « ligne de conduite » précise sur un petit nombre de sujets, parmi lesquels le rapport d’échelle entre le nombre d’étages existants et ceux créés. Ainsi, le doublement de la hauteur n’est pas envisageable, il faut nécessairement que la surélévation soit plus petite que l’édifice ancien. 

Lorsqu’elle instruit des demandes de permis de construire, la commission émet cependant des vœux. Chaque vœu sera ensuite suivi, ou non, par la municipalité de Paris. Charge à la Ville, in fine, de se positionner dans la délivrance du permis de construire.

Deux projets de surélévation en dent creuse examinés et rejetés par la CVP

Un projet de surélévation de 2 étages sur un immeuble de faubourg en dent creuse, non protégé au titre du patrimoine, a reçu un avis négatif de la CVP. Le fait de combler la dent creuse ou de proposer un alignement en toiture n’a cependant pas été le motif de refus dans ce cas. C’est en raison du rapport d’échelle de l’édifice que la surélévation a reçu un avis négatif. Le projet proposait un ajout de 2 niveaux sur un édifice en comptant 4, l’avis de la CVP était donc difficilement prévisible au regard du critère de rapport de proportion entre étages existants et créés.2 L’édifice faubourien est situé rue de Reuilly dans le 12arrondissement. En dent creuse d’un étage d’un côté et de deux étages de l’autre, le projet proposait de créer 2 étages supplémentaires et d’atteindre une hauteur située à mi-chemin des hauteurs des immeubles mitoyens. La CVP décrit une surélévation « qui aurait pour conséquence de transformer radicalement l’échelle de cette maison faubourienne, sans doute l’une des plus anciennes de la rue… ». Dans ce cas, ce n’est pas l’argument de l’alignement ou du rapport d’échelle, dans l’absolu, qui a été au cœur de la décision de la CVP mais celui de la préservation des maisons de faubourg, sur lesquelles la surélévation semble encore moins souhaitée.

Rue CopernicIllustration : vue Google Earth de la « dent creuse » située rue de Reuilly.

 

La CVP a également émis un avis négatif pour un projet de surélévation en dent creuse situé rue Copernic dans le 16arrondissement de Paris3. Dans ce cas, 4 niveaux dont 2 en comble ont été proposés en surélévation d’un édifice en présentant déjà 4, pour atteindre la hauteur moyenne des immeubles mitoyens. La réponse de la CVP à cette demande a été que « sans s’opposer au principe d’une surélévation, la Commission demande que la hauteur des nouvelles constructions soit réduite de façon à ne pas supprimer toute différence d’échelle avec les bâtiments mitoyens qui correspondent à une phase plus tardive du lotissement des parcelles le long des réservoirs de Passy ». Il est intéressant de constater que cette dans cette situation aussi, c’est le patrimoine de l’édifice sur lequel se porte la surélévation qui induit le rapport d’échelle autorisé par la CVP : dans ce cas, la préservation de la mémoire des époques constructives des immeubles mitoyens est au coeur de l’argument de la commission. La CVP indique plus haut dans son compte-rendu laisser « ouverte la possibilité d’une surélévation, mais beaucoup plus modeste ». Entre cette indication et celle, inscrite en résolution, de « réduire [la surélévation] de façon à ne pas supprimer toute différence d’échelle avec les bâtiments mitoyens », il semble là aussi que le rapport d’échelle admis de manière générale soit là aussi surpassé pas un autre élément du patrimoine dont la conservation importe à la commission. Cela est légitime mais difficile à anticiper par les concepteurs. 

Rue de ReuillyIllustration : vue Google Earth de la « dent creuse » située rue Copernic.

Dans ce type de situation, la difficulté pour le concepteur réside dans le choix de projet d’une éventuelle version modificative de la demande de permis de construire. 

Comment les concepteurs peuvent-ils anticiper l’avis de la CVP ?

Solliciter les instances patrimoniales en amont des projets

Tel que le suggère la CVP elle-même, consulter les instances patrimoniales en amont des projets, à leurs étapes de pré-faisabilité, est recommandé afin de recueillir leur avis sur l’édifice existant, son contexte urbain et les possibilités d’y mener un projet de surélévation. 

Cette consultation préalable évite de mener un projet qui serait voué à l’échec. Cependant, les instances patrimoniales n’auraient pas le temps de donner un avis sur tous les pré-projets et rien ne garanti non plus que la réponse donnée soit suffisamment claire pour orienter le projet et en assurer l’acceptation au stade de la demande de PC. L’incertitude demeure donc, au moins en partie. 

L’approche d’UpFactor pour anticiper et limiter les risques

UpFactor porte les projets et accompagne les copropriétés jusqu’à l’acceptation et la purge des permis de construire. En travaillant ainsi, UpFactor prend à sa charge le risque de devoir réaliser plusieurs projets (et celui de se voir opposer un refus catégorique), en fonction des demandes des instances patrimoniales. Porter ce risque n’est cependant pas de tout repos ! Pour le limiter, les recommandations des instances patrimoniales sont intégrées dès la conception du projet, et des consultations sont menées le plus en amont possible. L’avantage de cette stratégie est que le promoteur n’entre dans la maîtrise d’ouvrage du projet qu’une fois le permis validé et purgé. Cela permet à UpFactor de faire valoir les droits de la copropriété, notamment le partage de la valeur créée, basée sur un projet validé et non sur une faisabilité réglementaire. 

 

1_Mairie de Paris, « Surélever son immeuble », HABITER DURABLE, no Édition n° 1 (septembre 2016).

2_Source : Commission du Vieux Paris, Compte-rendu de séance. Séance plénière du 30.01.2020https://cdn.paris.fr/paris/2020/04/07/40cd8cbdd2ffedcbc2f90a9b429f16cb.pdf

3_Source : Commission du Vieux Paris, Compte-rendu de séance. Séance plénière du 28.06.2018.https://cdn.paris.fr/paris/2019/07/24/0c23ee33fa84b386d4d505c6ae2c8745.pdf