Illustration : une vaste zone d’activité industrielle et commerciale basée au sud de Strasbourg. Image : Google Earth.

Faire la ZAE sur la ZAE 

Surélever pour rénover et requalifier les zones d’activités économiques (ZAE)

Par Géraldine Bouchet-Blancou

Alors que des solutions de requalification existent, les zones d’activités commerciales en perte de vitesse sont souvent « abandonnées » au profit de la création de nouvelles zones non loin, ce qui achève leur déshérence et entraîne une artificialisation massive des sols, difficile à justifier.

Requalifier les zones d’activité ou en créer de nouvelles ?

Maintenant que la plupart des cœurs de ville ont fait leur mue et retrouvé leur charme (grâce notamment à des programmes comme Action Coeur de Ville), les regards se tournent de plus en plus vers les zones d’activités en périphérie, dont le terme « moche » qualifie maintenant l’esthétique de nombreuses entrées de villes. Ces zones d’activité (ZA), en particulier les zones commerciales (ZAC) et/ou industrielles (ZAI) deviennent peu à peu obsolètes, perdent en attractivité, se détériorent et ne correspondent plus aux conceptions urbaines contemporaines, ni aux enjeux environnementaux actuels. En parallèle, les besoins en commerces, activités et loisirs évoluent eux aussi et augmentent en proportion (voire plus) de la population.

Les collectivités locales impliquées doivent choisir entre : limiter le foncier économique aux zones existantes, en soutenant et en accompagnant leur requalification, ou autoriser la construction de nouvelles zones par les aménageurs, qui se chargeront de tout. 

Dans les cas où l’aménageur a été persuasif, des terres agricoles sont sacrifiées pour la création de la zone nouvelle, souvent à proximité de l’ancienne. En plus de ne pas se voir requalifiée, la première zone se détériore d’autant plus vite qu’elle perd des commerces ayant migré dans la nouvelle, qui capte l’ensemble des subventions de la commune dédiées, ainsi que le gros du flux de visiteurs attirés par les « petits plus » qu’offre le nouvel aménagement. La logique marchande l’emporte alors sur l’intérêt collectif. 

La collectivité ne dispose pas forcément des moyens internes nécessaires à la mise en œuvre d’une requalification qui nécessite une ingénierie complexe et un investissement plus important. Elle se repose alors sur l’aménageur, qui mise sur les avantages escomptés de son projet, sans considérer ses dommages collatéraux. Après tout, ce n’est pas son rôle.

Pourtant, nous savons que des solutions beaucoup plus vertueuses existent, des solutions pour intensifier et rénover, dont la surélévation fait partie, et qui ne sont que trop rarement mises en œuvre.

Mais comment la surélévation peut-elle contribuer à la requalification des zones d’activités ?

Refaire la ZAC sur la ZAC pour répondre aux enjeux urbains et environnementaux actuels

La fin de l’urbanisme de zonage

Les zones d’activités sont des secteurs urbanisés spécialisés et éloignés des centres urbains. Issue de la théorie du zonage du Mouvement Moderne, cette manière de séparer les fonctions en urbanisant une zone dédiée en dehors de la ville a été très largement mise en œuvre entre les années 1960 et 1980. Cette pratique urbaine se poursuit encore actuellement en raison de ses avantages (souvent à court terme), bien que les évolutions en matière d’urbanisme aient depuis longtemps montré également ses limites. Les ZA se répartissent en une dizaine de catégories, chacune spécialisée dans un type d’activité : artisanale, commerciale, industrielle, tertiaire, mixte ou spécialisée (ex. : chantier naval, mine, carrière, etc.). Certaines zones sont compatibles avec l’habitat (commerce, tertiaire) et d’autres non (les industries lourdes ou polluantes, par exemple). Même si tous les types de zones sont appelés à être requalifiés, améliorés et intensifiés, ce sont les zones commerciales qui subissent le plus la concurrence causée par la création d’une nouvelle zone à proximité.

Or, la loi Climat et résilience a acté l’objectif Zéro Artificialisation Nette (ZAN) en aout 2021 et interdit notamment la construction de nouvelles zones commerciales dépassant 10 000m2 de surface de vente. Pour les surfaces en dessous de ce seuil, des dérogations restent possibles. 

Une zone commerciale active, où aucun bâtiment n’est désaffecté, a-t-elle réellement besoin de s’étendre en artificialisant plusieurs dizaines d’hectares ? Ne peut-elle être requalifiée et densifiée ? Car même quand il y a requalification, on ne voit que trop rarement se créer un prolongement de la ville dans toute son hétérogénéité, en intensification et en diversification des usages (et de l’amplitude horaire), sans aucune expansion de la zone.

Solutions concrètes

Pour requalifier une zone commerciale en perte de vitesse, les solutions vertueuses seraient par exemple : 

d’y construire des parkings silos en bordure de zone et des lignes de transports en commun amenant au pied des commerces,

– de renaturer les parkings existants, 

– d’y créer de nouvelles surfaces bâties dans l’interstice de ceux existants et sur leurs toits,

– d’y créer de la mixité en implantant des logements, des activités tertiaires, culturelles et des services. 

Zéro artificialisation (pas si) nette

Au nord du territoire de l’Eurométropole de Strasbourg, on y trouve un contre-exemple très récent : le retail park « Shopping Promenade », d’une superficie de 65 000 m 2 dont 45000m2 de vente (une telle superficie ne serait donc plus autorisé depuis le passage de la loi Climat et résilience). Le projet accueille des commerces, des loisirs et quelques services (notamment médicaux), aménagé (en partie seulement) selon le modèle urbain « dense et intense » de la ville ancienne : une rue commerçante étroite bordée d’enseignes, des espaces végétalisés et même un bassin d’eau. Le hic ? Les nombreux commerces anciennement situés dans la zone commerciale de Vendenheim qui y ont déménagé, laissant la zone ancienne en semi friche. 

Le projet prévoyait au départ le prolongement d’une ligne de tram reliant Shopping Promenade au cœur de ville. Mais ont été consacrées à créer une ligne de transport en commun desservant l’opération, alors que des lignes de bus desservent déjà l’ancienne zone. Mais au lieu de l’extension de la ligne de tram reliant cette nouvelle zone à la métropole, comme initialement prévu, les 9 M€ de subventions publiques ont servi à mettre en place une ligne de bus.

Le promoteur/aménageur du projet, le groupe Frey, a beaucoup communiqué sur la densité et la vertu du projet, présenté comme « la plus grande opération de renouvellement urbain et commercial jamais lancée en France pour une zone commerciale de périphérie »1. Le retail park est pourtant la troisième plus grande opération d’artificialisation de France en 2021 et ne constitue en rien un projet de renouvellement urbain. Loin de l’objectif Zéro artificialisation nette (ZAN) donc. L’argument de l’aménageur se fonde sur la continuité des bâtiments accueillant les commerces et les équipements, à l’image des cœurs de ville, ainsi que la forme de rue (promenade) donnée par l’implantation, ponctuée de jeux pour enfants, d’un bassin et d’une grande roue. C’est oublier l’immense parking de 2200 places, à ciel ouvert, créé en pur bétonnage de terres agricoles. 

Carte situant la nouvelle ZAE intercommunale « Shopping promenade » et les deux zones déjà existantes situées non loin. Réalisée à partir d’une vue Google Earth.

Artificialiser pour créer de nouvelles zones d’activité

Selon l’enquête Teruti-Lucas, l’artificialisation des sols en France est due pour 14 % aux activités économiques (tertiaire, industriel et commercial), contre 42 % pour l’habitat.2 Le reste étant composé des infrastructures de transport et des autres usages. 14 % semblent peu, pourtant, tout comme pour l’habitat, les besoins en constructions de commerces peuvent se faire sans artificialiser. L’heure est à l’économie des ressources foncières, non à la poursuite d’un urbanisme de zonage archaïque et qui n’a pas fait ses preuves. Si l’aménagement au sein de ces nouvelles zones est un peu plus attractif que la dispersion des boîtes à chaussures métalliques des premiers modèles du genre, le problème reste entier : créer une nouvelle zone commerciale en périphérie (proche ou loin d’une existante) demeure une mauvaise idée.

On consomme trop de sols, c’est un fait. France Stratégie nous rappelait en effet (dans un rapport de 20193) que depuis 1981, l’augmentation des terres artificialisées est en moyenne de l’ordre de 60 000 hectares par an et elles seraient ainsi passées de 3 millions à 5,1 millions d’hectares, ce qui représente une croissance de 70 %, nettement supérieure à celle de la population (+19 %) sur la période. 

Comment la surélévation aurait-elle permis de requalifier la zone commerciale de Vendenheim et éviter l’artificialisation due à l’aménagement du retail park Shopping Promenade ?

Sur cette vue de Google Maps, un léger « bug » fait apparaître des photographies aériennes anciennes, tandis que les indications des lieux sont actuelles. Cela montre de manière ironique que les commerces ont bien été construits en plein champs ! 

Miser sur un ensemble de solutions cohérentes, à l’échelle de l’agglomération

Deux métropoles ont mis en place une stratégie de rénovation et de densification urbaine cohérente, portant sur différents secteurs de leurs territoires. La métropole de Grenoble-Alpes, par exemple, en plus de promouvoir une densification verticale de Grenoble (avec une hauteur constructible à R+11), de veiller à l’acceptabilité sociale de cette densification grâce à espaces publics de qualité (60 % de pleine terre en 1couronne) et de programmer la réhabilitation d’immeubles anciens, mise également sur la requalification des zones commerciales par leur surélévation, grâce à la mise en œuvre de monte-charges. 

La métropole de Lyon, de son côté, poursuit sa politique de sobriété foncière déjà en place, en misant sur une densification des abords des 35 gares de son territoire, sur une rehausse des gabarits de 1 étage à Collonges-au-Mont-d’Or et à Meyzieu, ainsi qu’une densification des ZAC grâce aux monte-charges, comme à Grenoble. La ville a déjà initié un projet de surélévation en mixité programmatique en projetant de bâtir un immeuble tertiaire au-dessus du dépôt de bus et tramways. 

L’engagement des collectivités pour requalifier ces zones, les densifier et les intensifier en fléchant les subventions vers des solutions opérationnelles très concrètes et pertinentes et les inscrire dans la stratégie urbaine globale est un aspect très enthousiasmant de cette solution.

UpFactor accompagne de nombreuses collectivités dans l’identification et la qualification du foncier aérien de leur territoire, quelque soit la zone de son PLU, et assiste ensuite les propriétaires dans les projets. Dans ces collaborations, nous avons souvent constaté que cette solution dépend non seulement de la volonté politique locale, mais aussi du bon vouloir des propriétaires des bâtiments amenés à être surélevés ainsi que des usagers, qu’il s’agisse d’habitants ou de gérants de commerces ou d’activités appelés à être superposés. Cela représente un travail supplémentaire, pour convaincre de la vertu du projet, assurer son bon déroulement et trouver un intérêt direct aux parties prenantes. Pour la collectivité aussi, cela est bien plus engageant qu’un projet d’aménagement neuf, mais c’est aussi bien plus satisfaisant et payant, à long terme.

L’approche d’UpFactor : identifier et qualifier le foncier aérien de l’ensemble d’un territoire

La surélévation est un moyen de revaloriser le bâti existant et de créer des surfaces neuves sans artificialiser, qu’il s’agisse d’un immeuble d’habitation en cœur de ville ou d’un entrepôt dans sa périphérie. Il est évident que la pression foncière joue un rôle déterminant dans la faisabilité économique d’un projet, en fonction de sa localisation. Jusqu’à présent, le faible prix des terrains agricoles et l’absence de régulation forte dans leur transformation encourageaient la création de nouvelles zones d’activité. Mais la prise de conscience de notre usage effréné du sol, ayant conduit à l’objectif de Zéro Artificialisation acté dans la loi Climat et résilience en août 2021 change désormais la donne. Les sols naturels, agricoles et forestiers doivent être sanctuarisés, et le seul foncier que l’on devrait désormais consommer se trouve sur le toit des bâtiments. 

Dans les ZA, ça tombe bien, ce foncier est disponible à foison et offre de très grandes surfaces. Malgré la faiblesse structurelle des constructions existantes, des opportunités de dédoublement pourraient voir le jour en maintenant les activités existantes et en proposant des structures indépendantes permettant d’agrandir les surfaces existantes toute un proposant un nouveau sol qui pourrait bénéficier de toutes les infrastructures existantes (parking compris) en mutualisant les usages.

 

Pour aller plus loin : 

– Fiche « Restructurer les zones commerciales et les zones d’activité », Portail de l’Artificialisation, Ministère de la transition écologique :https://artificialisation.developpement-durable.gouv.fr/sites/artificialisation/files/inline-files/GuideSF_6_ZCZAE_web.pdf

– Article sur le moratoire des zones commerciales par la Convention citoyenne pour le climat : https://www.actu-environnement.com/ae/news/moratoire-zones-commerciales-entrepots-logistique-projet-loi-climat-37282.php4

– Dossier du Cerema « Zones d’activité économique en périphérie, les leviers pour la requalification »: https://www.adcf.org/files/co18005314-zae-etude-cerema.pdf

 

3_Idem